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L’Encens et le Goudron de Violaine de Carné

Publication : par webmestre

I. En quoi L’Encens et le Goudron est une pièce singulière ?

1. UN TITRE ETONNANT
L’encens et le goudron est un titre étrange construit sur une alliance de termes. Alors que l’encens, connoté de manière positive, est un mélange de résine que l’on fait brûler, en particulier lors de différentes cérémonies religieuses, et dont la combustion produit une épaisse fumée odoriférante, le goudron est généralement associé aux perceptions désagréables ; produit épais et noirâtre obtenu par distillation du charbon et du pétrole et qui, à l’état liquide, il répand en effet une odeur nauséabonde.

2. UNE HISTOIRE ORIGINALE
La pièce met en scène une femme Violette qui, dans une chambre d’hôpital, attend le réveil de son compagnon, Guillaume, plongé dans un coma à la suite d’un AVC (accident vasculaire cérébral). Afin de sortir de sa solitude, elle rencontre d’autres patients qui souffrent de différents troubles de langage ou de mémoire.

3. LES PERSONNAGES INCARNES PAR VIOLAINE DE CARNE

a) personnages présents sur scène

• Violette : personnage principal qui veille au chevet de son ami Guillaume. Elle se remémore son enfance aux côtés d’un père militaire ainsi que sa vie de couple, avec ses joies et ses déceptions.
C’est un personnage à la fois pathétique et tragique.

• « Général du cerveau » : sorte de Monsieur Loyal de la pièce qui intervient de manière abrupte pour décrire et expliquer les différentes pathologies dont sont atteints les personnages. Il s’inscrit dans un registre à la fois didactique et burlesque.

• Patients :
 Rachid atteint d’une logorrhée verbale : littéralement diarrhée verbale ou incontinence verbale. Trouble du langage caractérisé par un besoin irrésistible et morbide de parler. Par extension = flux de paroles inutiles. Sa maladie lui a fait perdre son travail.
 Abou atteint, suite à un traumatisme crânien, d’une aphasie dite de Broca touche le langage dans sa partie "réalisation" et se caractérise par un ralentissement de la parole, un manque du mot, une difficulté à articuler et à composer des phrases : un personnage d’origine togolaise. Sa maladie a bouleversé sa vie sentimentale : il ne sait pas comment exprimer ses sentiments à celle qu’il aime.
 Pierre atteint d’une apraxie càd d’une impossibilité d’exécuter une action voulue, mais qui ne résulte pas d’un trouble de compréhension de la consigne, d’une paralysie, d’une faiblesse, ni d’un déficit sensoriel. Peu loquace, il dort souvent.
 Bérangère atteinte d’une amnésie antérograde, càd. d’une incapacité à fixer durablement de nouveaux souvenirs. Sa maladie a fait fuir son mari. Elle joue une femme d’un milieu social assez élevé.
 Gloria atteinte d’une autre forme d’aphasie dite de Wernicke qui touche le langage dans sa partie sélection des mots à utiliser et se caractérise par une difficulté à décoder et comprendre mots et phrases, des paraphasies (erreurs sur le choix des mots ou la composition sonore des mots). Pour contourner ses difficultés, elle chante.

==> Ainsi chaque patient-personnage possède sa propre manière de s’exprimer en fonction de son origine sociale et du trouble neurologique qui le caractérise.

b) personnages muets ou absents physiquement
• L’orthophoniste : apparaît dans les images vidéo projetées sur le mur de fond (dialogue avec Violette et les patients ) => personnage étrange qui rééduque les malades par le recours à la musique et au chant.
• Guillaume – personnage plongé dans le coma, représenté matériellement par une très grande statue ( à l’origine mesurant 2m70).

II. Comment expliquer les choix de la mise en scène ?

1. L’ESPACE SCENIQUE

• la comédienne est présente sur scène durant toute la pièce (quand elle disparaît momentanément derrière les rideaux, sa voix se fait toujours entendre) => Violette semble ainsi enfermée dans une pièce dont elle ne peut échapper
• le décor matérialise une chambre d’hôpital, mais le lit d’enfant, censé symboliser le lit dans lequel repose Guillaume, renvoie également à la chambre d’enfance de Violette ou encore à celle où couchait le couple => l’espace se transforme au gré des souvenirs de la jeune femme.
• la statue disproportionnée avec son corps et ses bras démesurément grands par rapport à la minuscule tête évoque la présence obsédante de Guillaume qui occupe toutes les pensées de Violette. Cette présence imposante dans son immobilité et son silence de mort souligne la fragilité et l’impuissance de la jeune femme confrontée à un malheur qui la dépasse.

2. UNE INTERACTION ENTRE LE JEU THEATRAL, LA MUSIQUE ET LES IMAGES FILMIQUES

• Les effets de lumière (avec la projection des ombres menaçantes sur le mur), les images vidéo et la musique qui accompagne les déplacements et les paroles de la comédienne font de la pièce un spectacle total qui oscille entre le rêve et la réalité.
• Les images projetées sur l’écran (les images des deux hémisphères cérébraux, des synapses neuronales (connexions), de la séance de rééducation surréaliste, des silhouettes polychromes qui s’agitent dans tous les sens, du jeu de Scrabble etc.) sont autant des projections mentales qui bouleversent nos perceptions temporelles et spatiales (où se passe réellement la pièce ? Quand l’action se passe-t-elle ? Combien de temps dure-t-elle ?) : le passé de Violette et des autres personnages se mêle au présent. Les lieux se confondent.

=> La mise en scène matérialise ainsi un monde où tous les repères sont brouillés.

III. Quels sont les enjeux de la pièce ? Quelles questions soulève-t-elle ?

La pièce de Violaine de Carné soulève plusieurs questions dont les principales concernent le langage, la mémoire, l’identité, mais également la relation à l’autre.

1. LES MAUX DE LANGAGE

• la pièce contredit le proverbe « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » => une distinction est faite entre la pensée et le langage. Ne pas savoir s’exprimer ne signifie pas nécessairement être déficient intellectuellement. En même temps, les difficultés de langage rendent la communication difficile, voire impossible, condamnant la personne à l’isolement.

• À défaut de s’exprimer comme tout le monde, les malades de la pièce créent leur propre langage => ils deviennent des poètes au sens propre du terme (le langage poétique est justement une autre manière d’appréhender la réalité.)

2. LA MEMOIRE QUI DEFAILLE ET L’IDENTITE QUI SE DEROBE

• Nos souvenirs, nos expériences font ce que nous sommes. La mémoire pourrait être comparée au mortier qui permet de rassembler tous nos souvenirs épars pour bâtir notre identité. L’amnésie la met en péril.

• Les sens et notamment les perceptions olfactives et auditives permettent de ressusciter les souvenirs enfouis. C’est l’émotion que les parfums ou la musique suscitent qui rappelle le passé disparu.

• Les expériences différent selon les individus, du coup la même odeur peut provoquer chez l’un l’extase, chez d’autres le dégoût.

3. LA RENCONTRE AVEC L’AUTRE/L’ETRANGER

• La pièce de Violaine de Carné nous invite à nous interroger sur ce que nous sommes ainsi que sur les relations que nous pouvons entretenir avec autrui. Sommes-nous capables de continuer à aimer une personne qui pour une raison ou pour une autre a changé ? Connaissons-nous suffisamment ? (Socrate enseignait à ses disciples « Connais-toi toi-même »). Comment pouvons-nous connaître les autres si nous demeurons étrangers à nous-mêmes ?

• Comment définir l’étrangeté ? Si l’étranger est celui qui vient d’ailleurs, celui qui ne partage pas notre mode de vie ou notre mode de pensée, celui qui se comporte de manière différente de la nôtre, alors ne sommes-nous pas tous étrangers de quelqu’un ?